Quelle place occupe le travail dans ma vie ?

1 Déc, 2020

Quels que soient votre situation professionnelle, votre statut de salarié, votre niveau de vie, votre intérêt ou votre engagement dans votre travail, il est nécessaire de faire le point sur la place qu’il occupe dans votre vie actuelle. Pourquoi ? Car au-delà du sens primaire qu’on lui donne à savoir un moyen de gagner sa vie et/ou un moyen de s’épanouir, le travail a certains rôles qu’on ne lui prêterait pas naturellement. Ces rôles insoupçonnés du travail peuvent apparaître de manière plus importante justement au moment de la retraite ! Grâce à un rapide tour d’horizon de la manière dont le travail pourrait « briller par son absence » au moment de la retraite, vous allez pouvoir déterminer la place que prend aujourd’hui le travail dans votre vie et ainsi anticiper les modifications à venir à la retraite.

Point de vue général : quelle est la place du travail dans l’identité et dans la vie des Français ?

Dans une étude sociologique réalisée en 2006 pour l’INSEE, Hélène Garner et Dominique Méda font le point sur la place que représente le travail dans l’identité des Français. Il en résulte que le travail est cité en deuxième position des composantes de la définition de l’identité après la famille. On parle ici du fait de se caractériser par son travail, le travail est donc reconnu par les Français comme une des composantes principales de leur identité. D’autre part, près de 70% des Français accordent une importance élevée à la valeur travail (Davoine L., Méda D., 2009). Cependant cette importance accordée au travail est corrélée aussi à plusieurs critères principaux : la catégorie socio-professionnelle, la situation familiale et le travail effectué. Concernant la catégorie socio-professionnelle, les employés et les ouvriers accorderaient relativement moins d’importance au travail que les cadres et indépendants qui y trouvent un vecteur d’épanouissement et de réalisation personnelle. Concernant la situation familiale, le fait d’avoir des enfants est corrélé avec le fait de donner moins d’importance au travail. C’est en fait la « valeur » famille qui prend alors plus d’importance.

Les personnes qui s’identifient donc davantage par la valeur travail sont ceux qui appartiennent aux catégories socio-professionnelles les plus élevées et ceux qui ont moins d’attaches familiales. Enfin, certains aspects du travail influent positivement sur l’importance donnée au travail : les personnes qui exercent une profession permettant l’expression de soi (artistes, journalistes, écrivains…), les personnes ayant des journées conséquentes où le travail prend beaucoup de temps (commerçants, agriculteurs, artisans,  commerciaux…) et les indépendants propriétaires de leur entreprise/structure (Garner H., Méda D., 2006).

L’intérêt que portent les Français à la valeur travail quelle que soit la catégorie socio-professionnelle proviendrait de deux choses au-delà de l’intérêt intrinsèque de l’emploi qui est d’avoir une activité. Le premier est le fort taux de chômage persistant en France qui donne une autre dimension à l’activité face à l’inactivité. Le second concerne le développement personnel au travail : plus de 50% des Français considère que leur travail leur permet de développer toutes leurs capacités (Davoine L., Méda D., 2009). Le travail offre un véritable statut social à l’individu, il est donc pour certains un lieu d’investissement très important. Pourtant en Europe, les Français sont les plus nombreux à vouloir que le travail occupe moins de place dans leur vie (65% d’entre eux). Comment expliquer que d’un côté ils donnent beaucoup d’importance au travail et que de l’autre ils souhaitent qu’il leur prenne moins de temps ? Lucie Davoine et Dominique Méda avancent 2 deux points (Davoine L., Méda D., 2009) :

  • Les attentes portées au travail ne sont pas satisfaites par le cadre de travail.
  • Le travail prendrait trop de temps par rapport à d’autres activités jugées encore plus importantes (notamment la famille).

Et vous, vous retrouvez-vous dans ce que pensent les Français ?

Les rôles du travail : rôles visibles/rôles invisibles

Si vous deviez définir quel rôle joue aujourd’hui le travail dans votre vie, quelle serait votre réponse ? Nous ne donnons pas tous les mêmes rôles au travail de par nos situations personnelles et professionnelles. De plus, certains sont plus visibles que d’autres par l’impact direct qu’ils ont sur nos vies. Pour vous aider à faire le point sur les rôles que le travail joue dans vos vies et qu’il ne pourra donc plus jouer à la retraite, voici un panel non exhaustif des fonctions psychiques que joue le travail sur l’individu. Cette liste se base sur le travail de recherche de Jean-Marc Talpin, psychologue clinicien, professeur de psychopathologie et psychologie clinique de l’université Lumière-Lyon 2 (Talpin J-M., 2017).

Rôle financier : Parmi les rôles du travail, le rôle financier est le plus évident. Le travail permet de gagner sa vie tout au long de sa carrière. C’est aussi un marqueur de réussite et de fierté pour certains et les revenus influent aussi sur l’identité. A la retraite, la diminution du pouvoir d’achat avec la perte du salaire issu du travail peuvent être une source d’inquiétude, notamment pour les personnes qui se caractérisent personnellement par leurs ressources.

Rôle social : Le travail est un lieu d’échange et de rencontre, l’un des plus importants de toute votre vie d’adulte. On y tisse des liens professionnels, amicaux et parfois amoureux. Si les liens personnels (amicaux et amoureux) perdurent souvent après la retraite, sous certaines conditions (distance au lieu de travail, différence d’âge), ce n’est que rarement que les liens professionnels résistent. La rupture de ces liens peut être difficile à vivre et nécessite un travail social pour en recréer de nouveaux à travers d’autres activités ou engagements à la retraite.

Rôle de régulation du cadre privé : le travail joue un rôle de régulation dans la vie de couple et dans la vie de famille. Il impose un emploi du temps, il permet à l’individu de s’investir dans autre chose que le couple/la famille et il permet d’obtenir d’autres sources de reconnaissances. Le passage à la retraite peut être le théâtre de crises pour les couples liées justement à l’absence du travail comme régulateur naturel de la vie à deux. Il est donc important d’en prendre conscience assez tôt pour réfléchir sa vie privée à la retraite, par l’organisation de son quotidien pour satisfaire cette régulation à travers des activités permettant des temps séparés et des temps ensemble.

Rôle d’organisation du temps : Toute votre vie professionnelle et personnelle est en fait cadrée par un temps subi défini par le travail (heures de réveil, vacances, repos…). Quelle que soit votre situation professionnelle d’ailleurs, même en recherche d’emploi, c’est bien le cadre du travail qui va définir à quelle heure vous pourrez faire vos démarches ou non, passer un entretien ou non. Et c’est d’ailleurs bien pratique de ne pas avoir à se soucier de ce que vous allez faire aujourd’hui et à quelle heure. A la retraite c’est tout autre chose, vous allez choisir votre organisation du temps. Cela peut au début être problématique et faire peur face à tout ce temps disponible. C’est d’ailleurs d’autant plus le cas pour les célibataires ou veuves/veufs qui n’ont pas de personne avec qui entretenir une certaine temporalité dans la vie de tous les jours. Si dans un premier temps il est important et normal de profiter de ce temps libre de toutes contraintes, il faut réussir à établir des rituels/des échéances dans votre quotidien.

Rôle d’investissement stable dans le temps : ce rôle du travail un peu plus complexe à imager est en fait la capacité du travail à canaliser vos émotions et vos pulsions par un cadre stable dans le temps et un espace de contrainte vis-à-vis de vos actions. Le travail vous permet donc de vous économiser psychiquement sur ces aspects émotionnels et pulsionnels ! A la retraite ce cadre et ces contraintes n’existent plus par le travail, il est donc nécessaire de trouver des activités vous aidant à canaliser vos émotions et vos pulsions (engagements associatifs, sports, engagement militant ou politique…).

Rôle de valorisation de l’identité : Par le travail vous définissez en partie qui vous êtes et vous êtes reconnus pour cela. De même le travail est un lieu de valorisation personnelle essentielle dans la vie. Vous mettez en avant vos capacités et votre expérience au profit de la réalisation des tâches qui vous incombent. A travers cela vous pouvez récolter de la reconnaissance personnelle de vos pairs et de la reconnaissance d’utilité (dans le sens productif du terme) par votre hiérarchie. Le travail vous confère un certain statut social et une utilité sociale. A la retraite ces deux apports du travail disparaissent, il s’agit de les remplacer par d’autres moyens de satisfaire son besoin naturel de valorisation et de définition de l’identité que l’on peut trouver par exemple dans l’engagement extra-professionnel.

Voilà donc les fonctions psychiques du travail d’après les recherches de Jean-Marc Talpin (Talpin J-M., 2017). Le travail est une composante très importante de la vie qui joue sur de nombreux aspects personnels et extra-personnels. Le passage à la retraite marque le début d’une nouvelle période de la vie, où il sera nécessaire de combler les vides laissés par le travail dans votre quotidien à travers des engagements choisis. Le quotidien à la retraite par ce caractère choisi est donc un véritable moyen de s’épanouir encore plus qu’au travail en vous engageant dans des domaines qui vous animent.

Mon travail aujourd’hui, et demain ?

Maintenant que vous avez pu voir ce que le travail pouvait vous apporter, vous allez pouvoir faire le point sur ce qu’il vous apporte réellement aujourd’hui sur tous les aspects abordés. Ce travail mérite d’être réalisé scrupuleusement afin d’éviter d’éluder l’un ou l’autre des questionnements que vous pourriez avoir. En effet, la construction de votre quotidien dans le futur passe par une première phase d’introspection de ce que le travail vous apporte mais aussi de ce que le travail vous empêche de réaliser. Construire son quotidien à  la retraite, c’est trouver des activités et des engagements qui vous permettent de tirer les avantages que le travail vous apportait, d’éliminer les parties qui vous déplaisaient et surtout de réaliser des tâches qui vous permettent de vous épanouir davantage.

Vous pouvez pour cela réaliser un exercice simple qui consiste à définir l’ensemble des tâches que vous êtes amenés à réaliser au travail et de les classer selon qu’elles vous plaisent ou non. Pour chacune d’entre elles vous pourrez ensuite essayer de définir pourquoi ces tâches vous plaisent/vous déplaisent. Dans un autre temps, vous devez aussi vous intéresser à la place que prennent vos relations sociales liées à votre activité professionnelle dans l’ensemble de vos relations sociales. Cela dans le but d’imaginer votre réseau social au moment du passage à la retraite. Une fois ce travail d’introspection réalisé vous allez pouvoir plus facilement vous projeter dans votre future vie de retraité.

Engagement familial, engagement associatif, engagement sportif, engagement politique, engagement militant… Autant d’activités qui vous permettront de vous épanouir à la retraite. Les engagements externes vont vous permettre de restructurer votre quotidien, de valoriser vos compétences, de profiter de vos passions, de partager du temps avec d’autres personnes, et finalement de trouver votre place dans la société qui vous entoure. Pour certains, le travail post-retraite sera une solution d’épanouissement, peut-être pas sous la même forme ni avec les mêmes contraintes mais toujours dans une logique rémunératrice. Votre travail ne vous permet pas nécessairement de prendre des temps pour vous. Il sera important de s’en consacrer malgré tous vos engagements externes.

Le travail comme composante sociale est donc un marqueur profond de ce que vous aimez faire et de ce que vous n’aimez pas faire. Il faut profiter d’être encore au travail pour identifier ce qui vous anime. Cette introspection sur votre place au travail permet également de faire ressortir des points d’attentions qui pourront orienter vos décisions non seulement  au moment du passage à la retraite mais aussi en amont et en aval de cette transition. Par une analyse de votre place au travail, c’est votre quotidien à la retraite qui pourra commencer à se dessiner. Questionnez-vous personnellement sur les points abordés dans cet article et n’hésitez pas à aller chercher des avis autour de vous, auprès de vos proches, de vos collègues ou toute autre personne de votre réseau. Le passage à la retraite se caractérise par un nouveau rapport au temps qui, de subit ou contraint par la structure du travail, devient choisi. Ces nouvelles possibilités de choix vous permettront alors de réaliser ce qui vous plaît dans le but de vous épanouir en tant que retraité.

Références bibliographiques :
Davoine L., Méda D., 2009, « Quelle place le travail occupe-t-il dans la vie des Français par rapport aux Européens ? », Informations sociales n°153, p 48-55.
Garner H., Méda D., 2006, « La place du travail dans l’identité des personnes », Données sociales : la société Française, Edition 2006, p 623-630.
Talpin J-M., 2007, « La retraite ou la négativité du travail », Nouvelle revue de psychologie n°23, p 83-95
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Auteurs :

Briac Reneaume

Briac Reneaume

Co-fondateur de Jubiliz

Isabelle Donnio

Isabelle Donnio

Psychologue

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